Comment lutter contre le destin impétueux et insolent ? Si quelqu’un en connaît le secret, qu’il me soit connu avant ma mort…
Elle griffonnait plusieurs mots sur un papier, à l’aide d’une plume de couleur feu puis elle attrapa une autre feuille où figurait une lettre, un majestueux L en majuscule, probablement la lettre première de son prénom. Elle continua à écrire sur cette page vierge, tout en tremblant, des mots succincts mais clairs.
« Je m’absente quelques jours, ne soyez pas inquiets. Amitiés, Lino. »
Puis elle reprit le cours de son précédent écrit.
Je dois y retourner… Je n’aurai pas du partir, ou bien ai-je été abandonnée… Ma mémoire est si floue… Elle me joue trop souvent de tour, si bien que je doute de tout, sauf de l’amour que me porte mes proches. Drag, toi qui m’a sauvée de cette forêt, tu comprendras mon choix d’y retourner… Ma conscience m’y oblige, du moins, c’est ce que je crois mais n’est-ce pas mon cœur ou mon esprit de vengeance, ou tout simplement mon sang qui me le demande ? Ce sang, est-il mérité, ce sang qui coule dans mes veines me dégoûte si souvent que j’ai encore les sévices de celui-ci sur mon avant bras. De nombreuses fois je l’ai fait couler en espérant m’en purger mais mon sang, est et restera, mon sang… Je sais déjà depuis dix sept années où est ce monde où j’ai vu le jour et jamais je n’ai eu le courage de m’y rendre jusqu’à aujourd’hui. J’ai abandonné lâchement le mot à mon frère de cœur, je n’aurai jamais eu le courage d’affronter son regard et encore moins la fatidique question « En es-tu sûre ? » car moi même je n’ai pas la réponse et cependant, mon cœur et mon âme à elles deux supportent suffisamment de doutes déjà…
Depuis plus de dix ans, bien plus, ils ne m’avaient pas vue mais ils n’ont pas oublié la ressemblance frappante que j’avais avec elle. Dans le regard je voyais une haine éperdue, une haine impériale, une haine… injustifiée. Je voulais leur crier « Je n’ai pas fui lâchement ! C’est vous qui m’avez rejetée et abandonnée ou bien est-ce Elle que vous vénérer ! » Mais mon honneur et ma dignité m’en empêchèrent. J’étais venue leur prouver que sans eux j’avais pu vivre, que sans eux je vis et que sans eux je vivrai tout aussi bien mais je me devais de régler ce poids, cette massue qui s’affalait sur mon être comme l’aurait fait le poids de la destinée de l’humanité toute entière. Je n’ouvre pas la bouche et me dirige vers l’arène, en plein centre de la ville. Je me sens un peu anxieuse mais plutôt sereine enfin je le crois. Elle arrive face à moi…
Je crois que cette fois-ci je ne peux plus reculer. Je sens mon cœur battre si vite... D'habitude, je n'ai jamais ces réactions, d'habitude je suis calme, d'habitude j'analyse, d'habitude je sais que je vais gagner, d'habitude...
Aujourd'hui, les règles sont différentes. Mes poings serrés, je sens mes mains moites, je devine mes jambes tremblantes, je laisse perler sur mes tempes la sueur et même avec la plus forte des volontés, je ne pourrais être autre, sauf si l'adversaire l'était.
Les dernières paroles échangées me laissent un goût amer, et surtout, m'abandonnent un poids pesant sur l'estomac.
Je ne vois plus le lieu où nous sommes ni aucun détail, je La vois juste Elle, avec Ses yeux de feu et Sa lame rougeâtre et flamboyante. Je dois Lui prouver qui je suis et Lui montrer qui je serai.
Elle va charger, je le sens. Elle est si rapide... Elle est déjà derrière moi et moi je suis déjà un genou au sol. Je n'ose pas me retourner. Non. Je n'ose pas La regarder et c'est ainsi que nous restons dos à dos.
Elle m'a épargnée. En passant, Elle n'a fait que me donner un coup à l'aide de la garde de Son épée au niveau de la reliure entre ma cuisse et mon mollet. Pourquoi ma jambe gauche ? La droite est la plus forte. Pourtant, Elle me connaît par cœur.
- Les cadeaux sont interdits dans ces combats-là !
Je ne reconnais plus ma voix. Suis-je en proie à la peur ? A l'admiration ? La haine ? Ou je ne sais quel sentiment qui m'empêche de me maintenir sereine ?
- Alors ne joue pas la gamine parce que seuls les enfants reçoivent au contraire des coups que tu espères de ma part.
J'en suis maintenant certaine, l'issue de ce combat sonnera lorsqu’il ne restera plus qu’un seul cœur battant dans nos deux poitrines.
Je n'ai d'autres choix que de contre-attaquer. Avec la même rapidité que celle avec laquelle Elle m'a atteinte, je porte mes mains à chacune de mes omoplates antagonistes et je montre au jour mes deux katanas.
Je La connais par cœur, je devine Son sourire lorsqu'elle a perçu mes lames fendre l'air.
Je ne peux qu'obéir à mes racines, à cette éducation qui sont omniprésentes depuis que j'ai vu le jour. Je me relève et brutalement me retourne en frottant mes lames l'une contre l'autre ce qui envoie une sphère de quelques centimètres de diamètre qui se pose aux pieds de mon adversaire. Un brasier se forme et L'encercle. Les flammes atteignent plusieurs mètres de hauteur. Je me jette dans le foyer, je ne crains pas le feu, il est mon élément. A ma grande surprise, je sens mes lames contrées. Aussitôt je fais un bond en arrière et voit mes flammes ne devenir que flammèches et je LA vois s'approcher en riant.
- Pathétique. Tu veux vraiment nous quitter en espérant t'en sortir avec ça ?
Elle n'y parviendra pas, Elle ne me déstabilisera pas. Cette fois-ci, il faut que je me lance. Je bondis en arrière car je me sens trop proche d'Elle. Je dois me préparer à la contrer, peut-être à La tuer. Non, pas peut-être, je vais La tuer. Je n'ai pas le choix, même si cette idée me terrifie et me fait peur, c'est la dernière possibilité. Ma vie est en jeu. Ce combat se résume en un enjeu : ma vie ou La Sienne.
J'avais l'impression que le temps s'était arrêté, Elle me scrutait avec ses yeux de louve à la fois protectrice mais meurtrière. Je le sais, Elle le sait, la prochaine offensive sera mienne et ce coup marquera le tournant du combat. Pourquoi ? Comment ? C'est ainsi.
Mes katanas s'embrasent, mes yeux également, je me jette sur Elle, lames en avant. Elle esquive en se déportant à droite mais je le savais. Aussitôt je fais une rotation vers la gauche et je vois, face à moi, son omoplate. J'hésite. Je ne dois pas mais c'est ainsi que le décide mon esprit. Je prends un peu d'élan et enfonce l'une de mes armes dans son épaule. Je la sens frôler Ses os mais je force, je ne dois pas lâcher. C'est comme si je ressentais cette douleur pénétrer dans mon corps et s'y loger. Le geste n'a pris que quelques dixièmes de seconde avant que je ne me recule par un bond, retirant par la même occasion mon arme de Son corps. Je sens quelque chose couler de ma jambe, un liquide chaud et je L'entends ricaner, un rire stupide, un rire inhumain, un rire dénué de raison...
- Tel est pris qui croyait prendre ! Hi ! Hi! Hi ! Hi !
Son rire me fait froid dans le dos. Jamais je ne L'ai entendue devenir ainsi. J'ai peur, je L'aime, je ne sais que faire... Je vois Son sang couler le long de Son corps, jaillissant de Sa blessure mais je vois aussi Son arme où glisse des longues gouttes de ce liquide vermeille. Ma jambe a pris un coup également, je saigne probablement plus qu'Elle mais mon esprit est trop torturé pour me faire ressentir la douleur.
C'est le moment où jamais, tout mon corps s'embrase et je me jette sur Elle, toujours en train de rire comme une folle... Je ne sais pas ce que j'espère suite à cet assaut, qu'elle esquive ou non... Mais quoi qu'il en soit, mon attaque atteint son but...
L'ultime coup vient d'être porté.
Je suis debout, en appui sur ma jambe droite, positionnée en avant qui saigne toujours abondamment. Les bras tendus au bout desquels je serre fermement mes katanas reprennent leur place le long de mon corps par un geste vif. Je me tiens maintenant droite. Je n'entends plus rien sauf son cœur qui ralentit, je l'entends, je le perçois comme si c'était le mien mais je sais qu'une partie de moi part avec elle. La voilà qui chute, son corps entre violemment en contact avec le sol et simultanément je ferme les yeux. J'ai envie de pleurer. Je dois me retenir. J'y suis obligée sinon tout cela n'aura servi à rien.
La phrase fatidique retentit : "L’élève a surpassé le maître". J'ouvre les yeux. Mes armes frappent le sol avec un grand fracas, ce qui fait taire tous les pullulements environnants. Je tombe à genoux, je n'ai plus la force de tenir debout. Le sang dans lequel je viens de chuter s'envole sous forme de fines particules et m'éclabousse. Les veines jugulaires saignent, elles saignent même abondamment.
Je baigne dans son sang, du sang que j'ai fait couler... Je prends sa tête dans mes mains, la pose sur mes cuisses et lui murmure :
- Pardonne-moi maman...
Je repars, cette fois-ci ce n’est plus un regard de haine qui se pose sur moi, mais un regard de respect puis de tristesse mais je n’ai pas de pitié pour eux. Ils m’ont jugée, moi je ne les juge pas, je les laisse dans leur jugement. Je n’ai pas failli à la tradition. Cette tradition stupide qui veut que toute jeune fille soit formé aux arts du combat par sa mère qui doit être elle-même une combattante et si elle veut quitter le cocon familial, elle doit pour cela affronter sa propre mère dans un duel où une seule perdurera. Cela paraît simple à première vue mais le plus dur repose dans l’esprit de la pauvre mère… Elle n’osera pas faire de mal à son enfant, et préfèrerai se faire tuer mais, elle pense également à ce qui se passe au dehors… Prendra-t-elle le risque de laisser sa petite fille aux mains d’hommes plus forts qu’elle pour lui infliger diverses sévices… C’est là toute la peur d’une mère, d’une femme…
Pour moi la question ne se pose pas, ma mère ne m’aime pas, donc ce sera un combat comme un autre, un combat qui me permettra d’avancer la tête haute, un combat qui me permet maintenant d’avancer la tête haute.
Si quelqu’un tombe sur ces quelques lignes je l’invite à répondre pour m’offrir un peu de lecture…
Sujet: Ma vie, Mon combat 
Mer 26 Oct 2005 - 16:32
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